lundi 21 mai 2018

Le théorème du dossard



(Aussi appelé : « Viens, on va se faire une petite course,  pour le plaisir ! »)

Chapitre 1 : Genèse

Je m’adresse d’abord à toi, cher lecteur non runner, car je tiens vraiment à ce que tu continues à me lire, et pour ce faire je te garantis une chose : si tu parviens au bout de cet article, tu seras encore plus convaincu, si c’est possible, que ne pas courir est la meilleure chose que tu puisses faire à ton corps, et à ton amour-propre. Sinon, je te filerai une paire de baskets gratos pour que tu puisses souffrir avec moi, j’ai de quoi faire, t’inquiète.

Mais reprenons là où on en était, si vous le voulez bien. On avait donc dépensé le prix d’un séjour aux Maldives en tenues-chaussures-montre-accessoires de running (Et pourtant on se verrait bien en train de siroter une pina colada, avec un petit palmier qui flotte, allongé sur du sable chaud, avec Ryan en train de nous étaler de la crème solaire...soupir... ) et donc on avait commencé fièrement à COURIR !
C’est toujours à ce moment là qu’un pote bien intentionné te sort cette phrase anodine « Hey, tu cours maintenant ? ça te dirait pas qu’on s’inscrive à une course, ce serait pas grave motivant ? ».
Dans 99% des cas, ta réponse devrait automatiquement être « NON, ça ne me dirait pas du tout ! Et maintenant passe moi les chips et la bouteille d’apérol que je nous serve un 4ème Spritz ! ». 
Tu le flaires, le danger ? Qui dit 4ème Spritz dit taux d’alcool au dessus des normales saisonnières, dit décision impulsive particulièrement stupide et que tu regretteras amèrement le lendemain matin, enfin disons à midi, le temps que tes neurones reprennent leur place initiale, un peu moins nombreux.

A la place, tu réponds donc : 
« Allez, chiche ! Si tu le fais, je le fais ! ». Sauf que ton pote te sort direct son MacBook machin chose à 1300€ (pas cher, c’était du reconditionné, une affaire ! » et procède illico à ton inscription aux foulées de la Sardine, une course populaire et conviviale, un teeshirt technique vert fluo et une boite de rillettes de thon offerts à chaque participant, le 14 juin prochain. 

Chapitre 2 : Prise de conscience 

Le lendemain matin, entre 2 dolipranes et 3 cafés, ton portable bippe. Tiens, un mail ? Un mail de... confirmation d’inscription :
Félicitations, vous êtes bien inscrit aux foulées de la sardine, merci de fournir un certificat médical daté de moins d'un an et portant la mention de "non contre indication à la pratique de la course à pied y compris en compétition"

Sueurs froides. Augmentation anormale du rythme cardiaque. Puis, moment de lucidité, tu ne fonces pas directement chez ton médecin, avec l’alcool résiduel dans ton sang, il te collerait direct en cellule de dégrisement. (Méfie toi, ton médecin n’est PAS George Clooney, il ne vient pas au taf après une nuit à boire du champagne avec une ou deux infirmières sexy, il prend ta santé plus au sérieux que son brushing).

Logiquement, tu commences à t’entraîner. Une fois par semaine, c’est bien, déjà, non ? Tu cours vite-vite-vite-vite car tu penses que c’est comme ça que tu deviendras un champion de la course à pied et qu’Instagram t’aimera plus, et tu fonces mentir à ton docteur sur ton état de forme actuel. 
(Je reproduis ici fidèlement l'échange, malgré la confidentialité patient / médecin, ton exemple doit servir à mes chers lecteurs non coureurs qui ne se sont pas encore barrés regarder le replay de Koh Lantah qu'ils ont raté à cause de la messe l'apéro de Pentecôte).
Le docteur :  "Et vous courez depuis longtemps ?"
Toi : "Oh ouiiii oui bien sûr ! (Tu comptes évidemment la course en sac de la kermesse de CE1 et le cross du collège en 4ème B, la seule fois en 4 ans où tu n’avais pas réussi à te faire dispenser par Martine, l’infirmière scolaire que George Clooney n’aurait pas emmenée en soirée car elle avait du poil aux pattes et des dents un peu jaunâtres).
- Ah bien, bien, mais vous courez beaucoup ?
- Oh la, évidemment ! Je fais 20 à 30 km par semaine, docteur ! (Ça c’est en comptant les 18km d’allers-retours à ton frigo pour aller chercher des bières pendant le match OM-Athletico Madrid parce que tu n’as jamais pu t’offrir le fauteuil avec glacière incorporée de Joey dans Friends et que ces 3 buts contre l'OM, ça fait chier quand même, heureusement Griezmann a marqué, c'est un peu comme si la France avait gagné l'Europaligue, du coup ?).
Après quelques pieux mensonges, tu ressors miraculeusement avec ton sésame en main, mais ton taux de crédibilité a pris cher, pense donc à changer de médecin après la course quand tu devras faire soigner ta periosiste / ton syndrome de l’essuie-glace. (ami non runner, tu ne VEUX pas savoir ce que c'est, crois-moi sur parole).



Chapitre 3 : Choc du réel 

La course approche et tu es toujours inscrit. (Les annulations spontanées d'inscription sont rares dans le monde du running, pas de chance).
Ton pote est hyper motivé, il a étrangement perdu 5 kg de gras et pris 3 kg de muscle, tandis que toi, non, vraiment, tu n’as pas changé d’un poil, comme c’est curieux. 
Puisque c’est un vrai ami, il t’a promis de courir avec toi, en mode « On se lâche pas, juré ! », d'ailleurs dans 2 minutes, il te fera le serment des frères de sang qui vont au combat, te voilà rassuré.

Veille de course, tu check désespérément ton Insta pour vérifier les Racepack (ndlr : les vêtements et autres conneries prévus et pris en photos par d’autres fadas qui courent demain) de ceux qui particpent comme toi aux Foulées de la sardine. Pas de bol, demain, ils seront tous sur le marathon de la Truite fumée, et là-bas ils annoncent de la pluie et 19 degrés de moins. Tu dois donc gérer par tes propres moyens et décider tout seul quoi porter (...un teeshirt, un short et des baskets, on se demande pourquoi ça demande autant de réflexion !)
Tu réalises avec effroi que le départ sera donné à 8h30, et que la dernière fois que tu t’es levé aussi tôt un dimanche, en fait, c’est parce que tu ne t’étais pas couché car tu avais fini la soirée en vomissant sur les sandales de Léa, qui ne te parle plus depuis, d’ailleurs.

Chapitre 4 : Bad trip

8h25, tu es allé faire pipi 7 fois, tu t’es piqué les doigts avec tes épingles à nourrice pour accrocher le précieux sur le teeshirt que tu as choisi au terme d’1h30 d’essayages de tenues diverses et variées, tu as répété 27 fois dans ta tête la phrase magique « Mais qu’est-ce que je fous la ??? », tu es prêt à partir. 
Prêt à courir avec plein de gens que tu ne connais pas, en ayant payé pour ça.
Prêt à devenir écarlate et transpirant sous le regard amusé de tes voisins / collègues / élèves / amis, en ayant payé pour ça. Ptet même ton chef, il a entendu dire que tu courais, il aimerait pas rater ça.
Départ de la course, coup de pistolet, tu t'élances, et... 500 m plus loin, ton pote te lâche sournoisement.
« Désolé mais c’est important de suivre son rythme, on se voit à l’arrivée ?! », tu réalises alors qu’il te reste 9km500 à parcourir et que y n’as jamais dépassé les 6 kilomètres, ça va être un très long moment à passer. 
Tout en maudissant Saint décathlon, Saint Nike, Saint François Dhaene et tous les autres saints de la création du running, tu énumères mentalement toutes les activités plus chiantes que celle-ci que tu pourrais faire un dimanche matin (Déjeuner des œufs en gelée chez ta belle-mère, emmener le petit au square et devoir discuter avec la mère de Mathéo des Anges de la télé-réalité, aller à la piscine et choper des champignons sous les pieds, liste non exhaustive). 
Tu manques de t'étouffer avec ton gobelet 100% anti écolo au km5.  
Tu te fais doubler au km8 par Juliette, la maitresse de ta fille cadette, tout sourire dans sa tenue fluo assortie.
Tu aperçois ton chef en train de te prendre en photo avec son Iphone 10 (il mettra tes photos en ligne sur l'intranet du bureau dès ce soir pour faire marrer tes collègues).
Tu reconnais ton pharmacien qui te dit "Allez, c'est presque fini !" Alors qu'il te reste ENCORE 1 km. Tu en profites pour te demander combien font 1 km en mètres, si seulement tu avais un peu écouté Madame Pichu au CE2 au lieu de dessiner des Marsupilami sur ton cahier de brouillon !
Enfin, tu passes l’arche d’arrivée. Tu dégoulines de sueur et tu t’écroules, mal en point, sur la table du ravito (où il ne reste plus que 2 bouts de bananes peu appétissants). 
Ton pote est là, frais comme un gardon, et il t'annonce son chrono comme s'il avait gagné un Oscar et que Scarlett Johansson le lui avait remis en personne. 
Et c'est là, fatalement, qu'il te balance un inévitable et enjoué :
 « On remet ça aux Boucles du merlu, le mois prochain ? Un petit Semi marathon ! Ça fera un beau challenge ! »
Tu n'as pourtant consommé aucun Spritz mais tu entends, malgré toi, ta voix qui lui répond...
 « Excellente idée ! C'était trop génial !". Malédiction, tu as chopé le virus du running.
 
(Cher lecteur non runner, si tu es encore là et que tu penses finalement te convertir à ce sport des plus enrichissants - sauf pour ton compte en banque - je te propose en cadeau au choix, un dossard pour un trail "plage / cailloux / herbes" de 34 km, ou une paire de chaussures de running New Balance bleues pointure 41 (un tiers !). Partant(e) ? )


dimanche 13 mai 2018

Le come back (4 ans, 1 jour, 24 min, 37 secondes plus tard)

Étant donné qu’il m’a fallu 4 ans pour rédiger un nouveau post, on peut s’attendre à du pur génie narratif, de l’éloquence au plus haut niveau, du grand art, un truc digne de Guillaume Musso, mais ptet pas Zola, quand même. 
Sérieusement, qu’est-ce que j’ai fichu pendant 4 ans, et surtout...suis-je toujours une desperate provinciale ? 
Pour le côté provincial, clairement, ça a même empiré : je vis et travaille dans la même petite ville,  je ne peux donc plus faire mes courses, boire un verre ou courir sans saluer une connaissance. D’ailleurs, Charles, un de mes CM1, me l’a bien confirmé : « c’est vrai, maîtresse, l’autre jour, j’étais à Leclerc, y avait une maîtresse de l’école, donc quand on va à Leclerc, on croise toujours une maîtresse. » (Socrate apprécierait certainement cet enfant logique). 
A ce propos, si tu es un tant soit peu observateur, tu noteras que mes élèves s’appellent dorénavant Charles  ou Pauline, et non plus Thyson ou Jarod. Au pire du pire, ils ont des prénoms du style « Timélio » ou « Lolina » . Simple, tu prends des syllabes avec des o et des a, tu mets tout ça dans un shaker, tu agites fortement, ça te fait un prénom ! Assorti avec le double nom de famille en mode « on n’a préféré pas choisir papa ou maman car de toutes façons dans 3 ans on sera séparés », tu obtiens aisément des Matélino Le Cossec - Gosling. (Oui, dans mes rêves, Ryan est père d’élève dans mon école, il organise la tombola de la kermesse ET il accompagne toutes les sorties scolaires. T’es jalouse ?)
Provinciale, donc, plus que jamais, j’y reviendrai certainement ultérieurement, mais je peux juste confesser que je n’organise plus de DÎNERS (de une, parce que je m’en fous, de deux, parce que j’ai bien mieux à faire !).
Et Desperate, donc ? Pendant ces 4 ans, j’ai vaguement tenté de soigner ma dépression post triple maternité, d’abord avec l’alcool (#mojitolover), puis les MM’s, puis les séries télé, jusqu’à ce que je trouve LE remède imparable à la crise de la quarantaine. 
Non, pas le divorce. 
Non, pas les anti dépresseurs mixés dans un Mac Flurry.
Non, pas un 4ème enfant 😱... Déconne pas avec ça !!!!

A la place, Je me suis mise au RUNNING ! (Hé ouais !)
Ça vaaaaaa,  je te vois venir direct, le sourcil relevé, l’air goguenard, et je t’entends déjà penser :
 " Ah ouais l’autre, elle fait son petit footing le dimanche et elle dit running pour se la raconter, déjà son blog s’appelle desperate provinciale, elle peut pas dire femme qui s’ennuie en province, c’est avec des gens comme elle que la langue française disparaît, y a plus de saison ma bonne dame, c’était mieux avant, tout ça."
Mais vois-tu, cher lecteur sceptique, le running, c’est un truc sérieux. Ça ne rigole pas. Ça ne s’improvise pas.
Faut des chaussures, déjà, avec des noms de marques exotiques et des spécificités connues uniquement des initiés : « Tu sais, moi, je cours toujours en saucony, quoi... et toi c’est quoi ton drop ? Nan mais tu préfères vraiment pas les minimalistes ? Sinon j’ai testé Brooks et Hoka one one mais nooon, je supporte pas, trop d'amorti !!!! » (Si tu as compris toute cette phrase, ne panique pas, tu nous fais une petite addiction au running, c’est sans danger, pars vivre quelques temps au Tadjikistan, ça passera en un rien de temps).
Ensuite, il te faut des fringues. Et tu crois pas que tu vas remettre ta tenue d’EPS du collège Pablo Picasso où madame Martineau te faisait faire des tours de stade et où tu essayais de te planquer derrière Stéphanie et Séverine pour en faire le moins possible parce que « courir, sans déconner, c’est vraiment super chiant, quoi ! » 
Non, il te faut le teeshirt respirant / isolant / réfléchissant la nuit et brillant le matin à 57€ chez Odlo, « mais totalement nécessaire »,  le short Nike avec la petite poche derrière pour mettre tes clés « tellement pratique ! », les chaussettes de compression qui te donnent le look de Griezmann à la coupe du monde (j’allais dire Thierry Henry, mais je n’aimerais pas déstabiliser mon lectorat de moins de 30 ans, si tant est que j’en aie jamais eu un...).

Une fois que tu auras vidé le Compte épargne prévu pour les études de tes gosses pour te déguis.. euh, t’équiper comme il se doit, pense aussi à casser ton PEL pour t’offrir l’indispensable montre GPS sans laquelle, franchement, à quoi bon courir ? Parce que tu ne crois quand même pas que tu vas courir pour rien, comme ça, pour le plaisir, librement ? Eh oh, c’est pas l’âge de pierre, tu ne cours pas après le gibier pour nourrir ta tribu ! Tu cours pour une raison VALABLE : être en forme ? Non. Perdre du poids ? Non plus. Partager ta passion avec ton conjoint (Eh, tu nous la fais pas, on t’a vu soupirer bruyamment de désespoir car ta chère et tendre court 5km au rythme où toi tu en fais 12... « Hein mamour c’est trop génial qu’on court ensemble ???... )
Non, si tu cours c’est pour te la RACONTER sur Instagram ! Afficher fièrement ta distance, ton allure, ton chrono, le tout encouragé par une multinationale philanthropique comme Nike dans un post bardé de 34 hashtags (#aimezmoicarjecours).
Donc, moi, c’est simple, pas de montre, pas de running. Ou alors je passe à une de mes 5 applis dédiées sur IPhone. (Toujours avoir un plan B, bon sang. Je sais que tu es trop jeune pour avoir regardé l’agence tout risques, qui est pourtant la dernière chance au dernier moment, mais j’adore quand même quand un plan se déroule sans accro).
Bref, bien équipé pour te la raconter, et nettement moins riche que quand tu te contentais de jouer à Candy Crush en mangeant tes Curlys dans ton canapé, tu seras enfin prêt à passer au stade 2. (Non, pas passer À stade 2, t’es pas Kilian Jornet, tu te calmes direct !) 
Le stade 2, le stade DOSSARD, mais ça, je te le raconterai la prochaine fois, promis.